CONFERENCE


Photographie de Cristian Crisbasan

Lors de la conférence qui s'est déroulée au Musée des Beaux-Arts de Timisoara en Roumanie en fin de matinée le 11 novembre 2009, nous avons réalisé un petit tour de table afin de présenter les artistes invités et les partis pris artistiques.

Il est vrai que dans le choix de ces travaux, j'ai volontairement présenté des points de vue de la photographie numérique différents mais toujours alliés en certains fondamentaux comme le burlesque, l'humour, le poétique et une vision pertinente de la posture de l'artiste en 2009. Cette engagement des auteurs au-delà de l'aspect formel et esthétique qui caractérise le monde l'art contemporain dépasse une vision classique et attendue de la photographie. La photographie est souvent grave, traitant de sujets lourds, elle revêt parfois un simple aspect formel et abstrait ou elle peut être mélancolique et ennuyeuse.

Comment traiter de sujets d'actualité ou tout du moins contemporains, comme l'Europe, le sport, le pouvoir, l'intime, l'identité ? Loin de toute morale, les artistes, roumains, polonais et français donnent à cette exposition une image colorée, dynamique et pleine d'espoir d'un monde considéré par tous comme "noir et blanc", manichéens . La crise, l'éclatement de la bulle du marché de l'art international, le manque de visibilité de l'artiste émergeant ou de l'individu dans nos sociétés occidentales creusent les nouveaux sillons de pensée du monde de demain.

Cristian Crisbasan, Lukasz Panko, Charlie Devier, William Acin et Hervé Samzun sont pour moi les chevaliers d'un nouveau ciel étoilé (la skyteam). Une Europe en plein devenir artistique, grâce à des pays comme la Roumanie où le potentiel d'investissement, de réflexion et d'action est grand et qui permet à des artistes comme ceux invités de raisonner et de trouver des échos favorables à leur épanouissement artistique. Oui, et sans exagération passer aussi rapidement d'une dictature à une autre et devenir aujourd'hui dépendant des marques, adopter des comportements communs permettant d'identifier un dominant d'un faible, les intellectuels et artistes de ces pays ont un recul et une analyse riches, nous avons a priori beaucoup à apprendre.

Dans tous les cas, la réflexion des artistes invités a joué un rôle majeur dans l'interaction avec les publics. Nombreux et curieux étaient les journalistes et publics qui ont su apprécier les œuvres présentées. Mais entrons dans le vif du sujet de la conférence en partant de la question primordiale abordée :

Quel est le point de vue photographique des artistes invités à cette manifestation d'envergure internationale ?

Pour Hervé Samzun qui parle de durée dans son traitement de la photographie, tondi et photographies rondes, le numérique ouvre de nouvelles perspectives. "Ce n'est pas le sujet qui m'intéresse de représenter mais bien le temps et ce pouvoir de réaliser dans l'image, la vision mentale de l'artiste".

"12minutes" de série "Eyes 1"

Ainsi dans le projet "William William" installé dans la salle principale du Musée des Beaux-Arts, Hervé Samzun, photographe, a saisi et représenté sur le même support toutes les images photographiées de la performance de William Acin.


Photographie de Cristian Crisbasan


William Acin surenchérit en insistant sur l'idée de performance. "Je suis performer et mon public est l'objectif de l'appareil photo. Je ne considère plus la performance comme dans les années 70."


"William dit non"

Hervé Samzun dit que parfois le public est nécessaire pour redynamiser l'acte performatif, il est d'ailleurs retranscrit dans "William dit non". Une performance réalisée au milieu de manifestants français brandissant une pancarte où est inscrit "NON".


Rebuziki 26-9-9


La photographie s'inscrit dans la durée de différente façon, à la manière de Lukasz Panko qui saisissant un moment de l'intimité souhaite prolonger ces vues intimes sur plusieurs années. "Je souhaite voir comment je vieillis, ma femme et les objets, les changements de mon enfant." Il introduit dans son espace intime de grandes images produites par la société de consommation "Je récupère dans les poubelles ces immenses images, les encolle sur carton et je les place dans les petites pièces de mon appartement". De ces espaces occupés, de ces agencements naissent des scènes familiales et intimes. "Il n'y a pas beaucoup de choix, les images prennent de manière autoritaire leur place dans les pièces de notre maison, c'est surtout un travail avec l'espace, plus qu'un travail sur la société de consommation".


Oui ! Que faisons-nous de toutes ces images, comment digérons-nous ces couleurs et ces formes ? N'y a-t-il plus que l'humour pour nous sortir de de ce mauvais pas ? Le projet CharlieWilliam en témoigne largement. Souvent l'humour a été synonyme de populaire mais aussi mal considéré par les intellectuels c'est un peu la tarte à la crème redoutée de tous. Pourtant comme l'annonçait publiquement Marcel Tolcea, Directeur du Musée des Beaux-Arts depuis 25 ans et personnalité émérite "c'est une exposition provocatrice, comportant beaucoup d'humour et raffinement".


Vit et travaille dans la lune

Le raffinement que l'on retrouve dans "Vit et travaille dans la lune" ou dans "Comme un jeté de palette" ou bien "Nœud Olympique" un raffinement dans ce traitement du sujet. Pourtant et au grand dam du responsable des équipes techniques Adrien, ce fut difficile de faire admettre la forme. Des photographies agrafées sur les plaques de bois contreplaquées brutes ! Que de matériaux pauvres ! Comme le soutenait Charlie " Ce choix de présentation des œuvres fait partie du sujet, un côté emballage, totalement assumé. D'ailleurs cela rentre aussi dans le sujet choisi par Eric Baude, directeur du Centre Culturel Français, Poids de la superficialité et gravité de la légèreté."

C'est en cela que cette exposition me semble intéressante et décalée de ce qui ce fait aujourd'hui. Les peintures sont lisses comme des carrosseries de voiture, les formes picturales sont graphiques, les ronds de Damien Hirst influencent des générations d'artistes futurs, les sous-traitants sont nombreux et la sérialisation des œuvres depuis Warhol bat sont plein pour un meilleur investissement. Les artistes deviennent de vrais requins de la finance. Qui est l'artiste d'aujourd'hui ? Ou se cachent nos identités ? Sommes-nous revenus aux masques et frasques de Venise ?


The Housekeeper Doll

Cristian Crisbasan, l'artiste roumain invité, parle de l'identité de ces femmes qui ont du mal à assumer leur nudité et qui ont demandé à l'auteur de ne pas montrer leur visage. Le nu n'est pas encore totalement avoué en Roumanie et son approche n'est qu'académique ou scolaire (dans les cours de peinture et dessin). Le poids de la culture et de l'histoire pèse quelque peu mais il est certain que ce temps disparaît au profit d'Internet et des affluences publicitaires étrangères. Cristian Crisbasan a alors saisi cette opportunité pour ajouter des têtes de poupées afin d'aborder le sujet de l'identité. Evoquer les avatars, Second Life et de toute cette mouvance bourgeoise Roumaine qui se cache derrière une fausse identité, des marques... Même si quelque part il vous semblait trouver un peu de tristesse dans les yeux de ces têtes de poupées, c'est parce qu'elles n'ont pas d'âme et le traitement coloré et radical des photographies par son auteur, nous renvoie à notre propre fiction, à ces visions mentales dont parlait Hervé Samzun que l'artiste tente de nous faire partager.

Cette expérience fantastique, du Musée des Beaux-Arts de Timisoara sur la grande place de l'Union, nous montre la chance que nous avons eu de rencontrer ces équipes solidaires et sincèrement en toute simplicité, ce fut une réussite aussi bien sur le plan humain que sur le plan artistique.

Dans tous les cas et à notre échelle, j'espère que cette exposition aura su retenir votre attention et marquer un temps de respiration, susciter chez vous, chers spectateurs un moment à la réflexion. Je retiendrais cette phrase de William Acin, "Rêvons mais ne dormons pas".

Merci aux artistes pour leur courage et leur vitalité pour cette exposition, à Eric Baude, Directeur du CCF, Marcel Tolcea, Directeur et Madame Oprescu, Conservatrice du Musée des Beaux-Arts, Marie Perronnet, Delia CRĂCIUN et Adrien du CCF, les équipes techniques, de communication et de garde du Musée des Beaux-Arts, du CCF et les partenaires.

Anne-Karine Péret